LES INVITÉS /
›› ‹‹VASSILENA SERAFIMOVA
« J’ai toujours voulu être soliste car j’ai ce besoin de création fort qui m’a toujours guidée. Je n’ai pas dû choisir ma carrière, elle s’est imposée à moi, comme une évidence ».
Dès ses premiers pas en musique, Vassilena Serafimova a vu les choses très clairement. Non, ce ne sera pas le violon, ce sera les percussions. Comme son père et sa sœur, qu’elle imite en cachette. Le premier est professeur et dirige un ensemble avec son épouse, baptisé Accent, qui se produit régulièrement sur scène. Alors, les choses se font naturellement : Vassilena intègre la troupe et se retrouve entourée de percussions. C’est ludique, enthousiasmant. À 9 ans, elle obtient un premier prix dans un concours national de sa Bulgarie natale : « après, je me suis lancée à fond dedans ». Car venir d’une famille de musiciens n’a pas été ressenti comme une pression par Vassilena. Passer des concours, se fixer des objectifs et suivre les recommandations de ses parents font partie de son éducation musicale. Sa prise de conscience va d’ailleurs lui venir toute seule au début de l’adolescence.
La détermination comme leitmotiv
Cette révélation, elle l’appelle sa « petite graine », celle qui lui donnera la force de continuer, ce à quoi elle peut toujours se raccrocher dans les moments de doutes.
Elle se perfectionne et remporte le Grand prix du concours La musique et la terre en solo à Sofia. C’est là qu’elle fait la connaissance de Chantal Stigliani, alors dans le jury. La pianiste la prend sous son aile et l’invite à se produire à Paris, puis à y étudier. « En mettant le pied sur la terre parisienne, je me suis sentie remplie de joie, j’y ai trouvé des gens très proches de moi et je suis tombée amoureuse de la ville. » Vassilena commence sa formation au conservatoire de Versailles en 2005, avant d’intégrer le CNSMD de Paris deux ans plus tard. Pour subvenir à ses besoins et payer ses études dans la capitale, il faut qu’elle multiplie les représentations, même dans la rue. Mais elle ne ressent pas ces difficultés comme un poids. Soutenue par des anges gardiens qui croient en son talent, elle s’entoure d’autres artistes – danseurs, comédiens, photographes –, qui l’inspirent. Redoublant de travail, elle choisit ce moment pour préparer de nombreux concours internationaux. De 2003 à 2010, elle remporte le 1er prix du World International Marimba Competiton de Stuttgart, le 1er prix de la Critique musicale du 18ème Festival International d’Europe Centrale en Slovaquie, le 2nd prix du Concours International de Musique de l’ARD de Munich...
De hasards en collaborations
« Les gens avec qui je travaille, je les ai tous rencontrés par un heureux hasard », aime à dire Vassilena. En témoigne une de ses plus importantes collaborations avec le pianiste de jazz Thomas Enhco, avec qui elle tourne sans arrêt en France et dans le monde entier. Le duo s’est rencontré par l’intermédiaire de Gisèle Magnan, directrice des Concerts de poche, qui les a réunis le temps d’un concert. C’est en constituant leur programme que les deux artistes ont eu un véritable coup de foudre musical. Depuis, ils ne se quittent plus. Ils enregistrent ensemble en 2016 chez Deutsche Grammophon leur album Funambules – qui contient aussi bien du Mozart que du Saint-Saëns, mais également leurs propres compositions et arrangements. Leur deuxième projet exclusivement autour de la musique de Bach, Bach Mirror, sort prochainement chez Sony Classics. « On teste tout ce qui nous passe par la tête, le goût est notre seul guide. Et lorsqu’une idée nous plaît, on la pousse le plus loin possible », relate Thomas Enhco. Une phrase qui résume bien la façon spontanée dont Vassilena fonctionne en duo.
Le hasard provoque aussi la rencontre avec la productrice de musique électronique Chloé en 2017. Les deux musiciennes forment un duo pour la première fois à l’initiative du collectif Sourdoreille, sur un plateau de télévision autour de la musique de Steve Reich. Ensuite, les compositions fusent de toutes parts. Après un passage à la Biennale de Venise au Studio Venezia, les deux artistes font dialoguer le marimba et les sons électroniques dans un projet baptisé Sequenza live. « On improvise, on retient, on enregistre. Parfois, j’amène un élément que Chloé développe et transforme », explique Vassilena. L’important, c’est qu’il y ait toujours une fenêtre ouverte sur la création et sur les mélanges de style. « J’ai grandi avec les enregistrements de Chopin par Rubinstein, mes copains au CNSM étaient les jazzmen, et mes partenaires de scène venaient tous d’univers artistiques différents », admet-elle. Elle s’associe d’ailleurs volontiers au tromboniste Fidel Fourneyron pour des projets éclectiques comme La chanson de Renart, un conte musical, ainsi qu’au clarinettiste Rémi Delangle pour des projets autour des musiques traditionnelles.
Le retour au solo
L’éclectisme se retrouve aussi au cœur de ses projets solos, comme sur son dernier spectacle Time, une création musicale et visuelle qui la met en scène devant un grand écran. Créé avec le vidéaste Julien Poulain, il s’agit d’une vraie expérience sensorielle et émotionnelle, avec pour thème le retour à l’essence de la percussion, le « time ». Après son passage à la Juilliard School de New York, Vassilena s’élève contre le besoin d’aller toujours plus vite, plus loin, sans s’attacher à l’histoire de ses instruments. Elle veut aussi reconnecter avec eux pour mieux participer au développement de leur répertoire. D’où la notion du temps, poétiquement mise en scène, qui peut aussi bien être la pulsation rythmique d’une caisse claire que le temps qui passe. Une des pièces jouées dans Time, composée par Javier Alvarez, se termine par une chanson traditionnelle du Vénézuela. Jouer la musique des origines, c’est important pour elle, tout comme de « voir ce qui était là avant, comment les époques se superposent ». Et comme Vassilena ne se ferme aucune porte, elle y ajoute un chef d’œuvre de la musique classique : la Chaconne de Bach, illustrée par une femme qui s’envole au vent. C’est cette ouverture sur la création et sur la ré-interprétation qui, au fil de ses expériences humaines et de son attachement à la transmission, en fait une artiste unique.
L’instrument de prédilection : le marimba
Le marimba est devenu son instrument fétiche, si bien qu’on qualifie Vassilena Serafimova presque plus de marimbiste que de percussionniste. « C’est un instrument à part de tous les autres. Les matières naturelles comme le bois me parlent, j’y suis sensible », explique-telle. Premier prix du World International Marimba Competiton de Stuttgart, Vassilena a une manière aérienne et très théâtrale de jouer qui lui est propre. Pas étonnant que certain.es percussionnistes la choisissent pour se spécialiser dans cet instrument. Son marimba résonne avec une puissance qui impose un silence presque religieux à la fin du morceau. Un son qui subjugue aussi son partenaire scénique, le pianiste Thomas Enhco, qui a joué avec elle lorsque le marimba a sonné pour la première fois aux Victoires de la musique classique en 2015 : « c’est rond, c’est chaud, et à d’autres moments percussif et violent : […] Vassilena peut absolument tout jouer avec ses quatre baguettes ».
Le marimba, (souvent « la » marimba, notamment en bulgare), comme beaucoup de percussions, est à la fois très ancien et très récent. Son origine est incertain, mais il aurait vu le jour en Afrique avec le Balafon et a existé en Amérique centrale à l’époque précolombienne. Il résonne lors de fêtes de villages et accompagne les chants traditionnels. Ce n’est qu’au début du 20e siècle que le marimba contemporain est mis au point par l’américain John C. Deagan, qui en fait un instrument à cinq octaves, avec des résonateurs en métal pour maîtriser les vibrations. Dans les années 60, la compositrice et marimbiste japonaise Keiko Abe a propulsé l’instrument vers le devant de la scène. Amoureuse des sonorités et de la profondeur qu’il produit, elle a commencé à composer, improviser, et à réunir des compositeurs contemporains autour du marimba. Elle a dédié sa vie à créer le répertoire de cet instrument, et continue encore aujourd’hui à le développer. En 2009, elle invite Vassilena à jouer avec elle au Japon : un honneur pour cette dernière, qui le considère comme « l’instrument le plus proche de ce qu’elle souhaite exprimer ».